25ème semaine du TO, année A, Cathédrale St Fulcran, Rentrée de l’aumônerie 20/09/2020
En cette période de la fin des vendanges, cette parabole retrouve un écho intime chez les vignerons et chez ceux qui les aident à accomplir cette tâche difficile, mais ô combien noble ! Dieu embauche à sa vigne ! Par ce temps de covid où beaucoup de travailleurs perdent leur gagne-pain, Dieu, lui, embauche ! Il embauche comme il a toujours embauché ! Le chômage n’est pas constitutif de son projet de salut. L’Evangile relate que le maître de la vigne sort cinq fois avant la fin du jour pour envoyer des ouvriers à sa vigne. Ce que le Christ nous décrit sur l’échelle d’une journée peut être appliqué à la longueur d’une vie, à la durée de l’histoire d’un peuple, d’une nation, à une situation d’Alliance entre Dieu et l’homme. Dieu embauche à toutes les heures, à tous les âges et à toutes les époques de l’histoire. Il embauche le nourrisson par le biais de ses parents qui décident de le faire baptiser et de lui enseigner qui il est. Il embauche l’ado qui décide de confirmer l’appel et le don de Dieu, et de faire du reste de son existence sur terre, une vivante pentecôte ! Il embauche le jeune homme ou la jeune fille qui s’engage à témoigner de lui dans le mariage, dans le sacerdoce ou la vie religieuse ! Dieu embauche à tout âge et sans conditions !
Deux choses peuvent nous sembler particulièrement singulières dans cette façon d’offrir du travail. La première : Dieu n’a besoin ni d’un entretien d’embauche, ni d’une catégorie d’âge, et encore moins d’une qualité requise. Tous les profils lui semblent bons. Il embauche l’humble et l’orgueilleux, le gentil et le méchant, le faible et le fort, le riche et le pauvre, le noir et le blanc, qui que nous soyons, où que nous soyons, quel que soit notre travail, notre souffrance et notre peine, notre joie et notre bonheur, chacun a une place dans sa vigne, c’est-à-dire dans son Eglise. On accuse souvent l’Eglise d’être le refuge des pécheurs, le repaire des faibles et des hypocrites. Mais Jésus n’a pas honte de son entreprise, puisqu’elle ne fera jamais faillite : « Tu es pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon église, et les puissance de la mort ne pourront pas l’anéantir » (Mt 16, 18) promet Jésus à Pierre. Notre employeur ne veut pas faire de la rentabilité, ni un maximum de profits, c’est pourquoi un salaire égal est proposé à tous, au premier-venu tout comme au dernier ! D’où la seconde singularité de cet évangile ! Les ouvriers eux-mêmes le relèvent : « Tu rémunères identiquement ceux qui ont dépensé beaucoup d’effort depuis le matin et ceux qui les ont rejoints en fin de journée ? Quel type de maître es-tu ? » Voilà l’accusation. Elle n’est pas nouvelle. Elle est le compendium de tous les chefs d’accusation que nous avons l’habitude de dresser contre Dieu dans nos souffrances et nos détresses, ou dans la confrontation à l’injustice du monde. Mais dans les textes de ce jour, Dieu répond. Nous découvrons une première réponse dans l’oracle du prophète Isaïe par qui Dieu dit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins » Entre nos pensées et celles de Dieu, entre nos chemins et ceux de Dieu, il y a une distance infinie, et pourtant, Dieu reste proche de nous. Nous raisonnons et nous jugeons les autres, leurs traditions, leurs religions, leur origine sur l’échelle de quelques décennies, peut-être de quelques siècles pour les plus clairvoyants et les plus sages. Mais qui est capable de soutenir une réflexion qui intègre les 14 milliards d’année d’existence de l’univers et de son évolution jusqu’à nous ? Qui est assez instruit pour être aussi juste ? Ceci nous conduit à la seconde réponse de Dieu : « Je fais ce que je veux de mes biens ». N’allons pas, sans autre forme de procès, trouver dans cette affirmation, une puissance écrasante de Dieu. Pour faire bref, commençons par comprendre ce que signifient les « biens divins » et nous pourrons ensuite comprendre la réponse que Dieu donne à ces ouvriers.
Premièrement, le bien divin, c’est la grâce divine. Toute la création est une grâce divine. Une pure gratuité. Chacun de nous est un produit dérivé et inachevé de la création, et donc la fine fleur de la grâce divine. L’homme est une symphonie inachevée. Jésus présente l’offre d’embauche de Dieu comme le début de l’alliance entre Dieu et chacun de nous, comme le moment décisif de la grâce, la naissance d’une rencontre entre Dieu et nous ! De ce point de vue, toute conversion vraie et authentique est le début d’une aventure amoureuse entre Dieu et l’âme. Toute conversion est un recommencement de la création en nous, un big bang originel ! Ce recommencement, fût-il tardif, ne peut pas être retardataire du point de vue de la grâce, car l’amour pour Dieu ne peut jamais être en retard ni le dernier-venu ! L’amour vrai que nous avons pour Dieu est toujours premier ! Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas la durée de notre engagement pour la vigne, mais la vérité et la sincérité de la parole que nous avons donnée à Dieu, quelle qu’en soit l’époque.
Secondement, tous ceux qui sont appelés à travailler dans la vigne sont désormais soudés par une seule et même solidarité, un seul et même amour de la Vigne, car ils sont les futurs héritiers de cette vigne dans laquelle ils travaillent. Nous sommes tous des héritiers de la Vigne qu’est l’Eglise ! Nous sommes tous les fils et filles d’un même Père grâce au sang versé de Jésus qui fait de nous des héritiers de la vigne pour Dieu, son Père et notre Père. Nous sommes des ouvriers certes, mais héritiers. Les premiers venus n’ont pas compris cela. Comme si ce que les derniers gagnent diminue leur gain à eux. Contrairement à nos héritages humains, l’héritage divin s’accroît au fur et à mesure qu’on le partage. Notre amour grandit quand il est partagé. Notre amour pour la vigne ne peut qu’être un amour partagé avec tous les autres ouvriers ! Comme on partage le pain, comme on partage le sourire, comme on partage l’amitié. Comme nous allons maintenant partager le corps du Christ, pour la guérison de notre amour ! Amen.
Père Camille Sessou, Responsable de l’aumônerie des jeunes, Secteur Lergue-Hérault.